A la fin de l'Ancien régime, la pharmacie militaire s'est vu reconnaître une existence propre souhaitée de longue date. En effet, les activités pharmaceutiques furent longtemps réalisées par des chirurgiens et des médecins. La pharmacie est encore considérée comme une branche mineure de l'art de guérir dont la médecine entendait conserver le monopole.
Cette situation est conservée par les ordonnances de 1781 et de 1788 qui organisent le Service de Santé et restent en vigueur jusqu'au règlement révolutionnaire de 1792.
Le Service de santé
La direction du service de santé des armées est assurée par deux organes, l'un chargé de la direction proprement dite du service et de l'administration des hôpitaux et l'autre, purement consultatif est chargé des aspects techniques et du personnel de santé.
Le Code d'Administration du 1 janvier 1780 avait créé à la suite des critique sur le système existant un Conseil d'administration des hôpitaux composé du Secrétaire l'Etat à la Guerre, d'un commissaire ordonnateur, d'un Intendant des armées et de deux médecins, inspecteurs généraux. Ce conseil est supprimé 16 mois plus tard le 2 mai 1781.
En remplacement de ce Conseil est créé par le règlement du 18 mai 1788, un Directoire d'administration composé de deux généraux du Conseil de guerre, deux membres du Conseil de santé et d'un commissaire des guerres. Ce directoire a pour attribution essentielle d'examiner toutes les opérations des hôpitaux militaires et de transmettre ses observations au Secrétaire d'état et au Conseil de guerre.
Le Conseil de santé
Le titre II du règlement de 1788 crée un Conseil de santé composé de huit membres en activité et de quatre membres honoraires tous médecins et chirurgiens choisis parmi ceux qui se seront distingués dans leur art et particulièrement dans le service des hôpitaux.
Il devait étudier "tout ce qui touche à l'art de guérir" et les améliorations à apporter à l'organisation du service. Point d'apothicaire mais cette absence est contestée (Balland "les pharmaciens militaires français" ed 1913 et par Bouvet "les origines de la pharmacie militaire" ed 1832) qui décrivent la présence de Bayen et Parmentier.
Ce Conseil dirige le personnel de santé, médecins, chirurgiens et apothicaires mais sans avoir un pouvoir de décision, il se borne à transmettre ses propositions au Directoire d'administration qui "était chargé de la partie exécutive de l'administration".
Les hôpitaux militaires
Ces hôpitaux sont réorganisés par l'ordonnance de 1788. Ils sont divisés en trois catégories.
Les hôpitaux régimentaires créés pour remplacer les anciennes salles militaires dans les hôpitaux civils. Lorsqu'un régiment passait dans une ville, il se faisait allouer une des salles de l'hôpital civil de la localité. Un hôpital régimentaire était prévu par troupe de moins 3 000 hommes.
Les hôpitaux auxiliaires qui sont les hôpitaux d'instruction de Strasbourg, Metz, Lille, Brest et Toulon auxquels sont ajoutés par l'ordonnance du 20 juillet 1788 ceux de Caen, Saint Brieux et Saint Jean d'Angelly.
Outre leur rôle de formation, ces hôpitaux recevaient les malades qui se trouvaient en garnison ainsi que les malades en route ou atteints de certaines affections spéciales (Gama p242).
Les hôpitaux des armées. ces hôpitaux sédentaires pouvaient former lors des campagnes des hôpitaux régimentaires provisoires.
Les hôpitaux militaires étaient administrés par un Conseil d'administration au sein duquel ne figurait pas d'apothicaire. La direction était assurée par les Commissaires des guerres (titre 33 de l'ordonnance de 1781) dont les pouvoirs sont encore étendus en 1788
Si le rôle administratif des Officiers de santé était nul, ils demeurent cependant les maîtres de leur profession.
Au moment de la Révolution il y avait 66 hôpitaux militaires en France. Leur approvisionnement venait d'être transformé de manière importante, alors que depuis la moitié du XVII ème siècle la fourniture des médicaments aux hôpitaux se faisait sous le régime de l'entreprise et que l'apothicaire lui même était payé jusqu'en 1747 par l'entrepreneur, un règlement du 1er septembre 1788 avait supprimé cette possibilité et résilié tous les contrats à compter du 1er janvier 1789.
Cette réforme était heureuse car le régime de l'entreprise parait avoir avoir été un "système vicieux" et avoir constitué un "état déplorable" car il ouvrait de larges possibilités à des abus de toutes natures, préjudiciables aux intérêts du Trésor et des malades. Ces mauvaises traditions et habitudes ne disparurent pas pour autant.
Le service de la pharmacie militaire
La pharmacie militaire n'occupe qu'une place réduite dans l'organisation du service de santé de cette époque.
Le nombre de pharmaciens appartenant à la direction est relativement peu élevé car en 1788, 58 d'entre eux ayant été réformés pour être remplacés par des chirurgiens. Il restait les deux pharmaciens du Conseil de santé, cinq apothicaires majors et 67 aides, sous-aides ou élèves. L'un de ces apothicaires-major était en Corse, les autres dans les hôpitaux d'instructions .
Un rapport de FAUVEL au Conseil des Cinq Cents le 13 brumaire an VI fait état de 1 200 officiers de santé répartis dans les 182 régiments de l'armée française, 70 hôpitaux militaires et 66 hôpitaux de charité pour le compte du roi. Ce chiffre ne comprend pas les élèves, garçons et aides.
A cette période il semble que le poste d'apothicaire-major des hôpitaux militaires et des camps des armées ou encore de pharmacien-chef des armées a disparu. Ce dernier titre avait été créé en 1781 avec l'ordonnance du 2 mai 1781 en remplacement de celui de vérificateur des pharmacie de 1780 attribué le 2 mai 1781 à BAYEN.
L'enseignement
En 1780 un Code d'administration des hôpitaux militaires est promulgué, il institue notamment un conseil d'administration des hôpitaux. L'apothicaire-major des camps et armées est remplacé par un vérificateur des pharmacies chargé du contrôle des remèdes. Les écoles de Lille, Metz et Strasbourg sont fermées remplacées par des cours de botanique professés par l'apothicaire-major de chaque hôpital. Ordres et contre-ordres se succèdent rapidement : le règlement du 2 mai 1781 rouvre les écoles de Lille, Metz et Strasbourg, y ajoute celles de Brest et Toulon et remplace le conseil d'administration par un apothicaire-major des camps et armées avec Bayen secondé par Parmentier.Aux hôpitaux de Strasbourg, Metz et Lille créé en 1775, le règlement de 1781 ajoute deux amphithéâtres à Brest et Toulon destinés plus particulièrement à la Marine.
Les hôpitaux d'instruction furent qualifiés d'auxiliaires en 1788 et leur nombre portés à huit avec ceux de Caen, Saint Brieux et Saint Jean d'Angely avec des différences dans le nombre et le traitements des apothicaires-majors :
- Metz, Strasbourg, Lille, Brest et Toulon comptaient un apothicaire-major recevant 1800 livres, un aide-major 1200 livres deux sous-aides majors 720 livres et huit élèves 500 livres.
- les quatre autres comptaient un aide-major à 1200 livres, un aide 800 livres et quatre élèves 500 livres.
Les études étaient d'une durée de trois ans selon le règlement du 2 mai 1781 à l'issue desquelles les élèves ayant satisfait au concours de sortie pouvaient recevoir un poste hospitalier. Le major recevant 150 livres.
Le statut
La hiérarchie était celle établie en 1788 : apothicaires majors, aides, sous-aides et élèves. En plus de leur hiérarchie propre les apothicaires étaient subordonnés aux médecins et chirurgiens. Le code de 1780 prévoyait ainsi que l'apothicaire-major pouvait être interdit par le médecin de toute fonction en cas de faute grave et renvoyé en informant le Conseil d'administration .
De plus les Officiers de santé se trouvait sous le commandement immédiat du Commissaire des Guerres en ce qui concerne l'observation des dispositions réglementaires et l'administration des hôpitaux.
Le titre 23 de l'ordonnance de 1781 augmente encore cette subordination "tous les officiers et employés de chaque hôpital sans aucune exception seront aux ordres du Commissaire des Guerres auquel ils rendront
compte de leur conduite et seront tenu de présenter leurs registres toutes les fois qu'il le requerra à peine de désobéissance".
Ce système permet aux Commissaires incompétents de distribuer les postes entre les divers officiers de santé alors que seul le médecin chef était capable de juger de leurs capacités professionnelles effectives.
Rôles et obligations de l'apothicaire militaire
Le rôle de l'apothicaire a été défini par étapes successives : il devait tenir, entretenir et réassortir la pharmacie de l'hôpital mais aussi de suivre le médecin lors de à sa visite et de consigner ses prescriptions (art 2 et 30 règlement du 20 décembre 1781). L'ordonnance de 1781 prévoyait même le collationnement de son cahier de visite avec celui du chirurgien. Il devait en outre avoir une provision de plantes et entretenir à cet effet un jardin dans l'enceinte de l'hôpital (art 10 règlement de 1781).
La suspicion était telle que les compositions ne devaient être faites qu'en présence du médecin ou du chirurgien à peine d'amende ou même de destitution en cas de récidive (art 25 règlement de 1718). L'apothicaire risquait un procès et des amendes dont la moitié était destinée au dénonciateur et l'autre moitié à l'hôpital s'il utilisait des drogues différentes de celles prescrites.
Alors qu'à l'origine les révocations était arbitraires depuis le code de 1780, le médecin pouvait toujours renvoyer les apothicaires mais il devait indiquer les motifs de sa décision à l'autorité supérieure, de même le commissaire des guerres pouvait en "cas de négligence, fraude ou autres délits" interdire à un membre du personnel de santé d'exercer mais après en avoir instruit l'Intendant du département .
Droits de l'apothicaire militaire
Ils étaient essentiellement de deux sortes, le port de l'uniforme du corps de santé et le traitement.
L'uniforme. Les apothicaires ont très longtemps lutté pour obtenir une marque extérieure de leur appartenance au corps de santé. Ils obtiennent satisfaction par le règlement du 1er octobre 1786 car auparavant le règlement du 2 septembre 1775 formulant les règles relatives à l'uniforme du Corps de santé ne mentionnait pas les apothicaires.
A partir de 1786 l'uniforme des apothicaires fut celui du corps de santé c'est-à-dire un habit gris différencié des médecins et des chirurgiens selon les parements.
Le traitement. Depuis l'ordonnance du 1er janvier 1747 les apothicaires et les chirurgiens ne sont plus à la solde des entrepreneurs mais ils sont payés par le Roi. Ils sont commissionnés par le Ministre de la Guerre ce qui allait dans le sens d'une certaine indépendance.
Les apothicaires royaux.
A côté du personnel de santé se trouvait à la fin de l'ancien régime des apothicaires titulaires de charges vénales créées auprès de certains corps d'armées comme l'artillerie, la cavalerie, les troupes de cour, les "Camps et armées du roi" et l'Hôtel des Invalides.
Ces apothicaires royaux étaient des privilégiés car du fait de leur charge, ils avaient le droit de tenir boutique dans la ville où se trouvait leur corps sans avoir à satisfaire aux formalités très coûteuses exigées pour leurs confrères civils d'où des luttes incessantes avec les Maitres Apothicaires de Paris qui entendaient les soumettre à leur réglementation et à leurs inspections.
Les apothicaires de l'Artillerie. Les troupes de l'artillerie disposaient de plusieurs apothicaires spécifiques dont le nombre variait pour se retrouver fixé à cinq par édit royal. Le premier apothicaire résidait à l'Arsenal (supprimé par l'édit d'avril 1788) et quatre apothicaires ordinaires destinés être à la suite des équipages.
Ces apothicaires achetaient leur charge à un prix élevé mais celle-ci durait toute la vie du titulaire. Un arrêt royal du 17 octobre 1782 enleva le caractère non limité de cette charge.
Bibliographie
M. Bouvet repris par Paul Delaunay. M. Bouvet. Les apothicaires des hôpitaux des camps et armées. Archives de Médecine et de Pharmacie 1931; XCIV, n°3 mars.
Jean-Paul Gilli. Thèse "la pharmacie militaire sous la révolution et l'empire". Université de Paris 3. Novembre 1959.
Jean Pierre Gama. Esquisse historique du service de santé militaire en général et du service des hôpitaux en particulier. Paris 1841.